« Autrefois. Ce mot sonne si lointain, si incertain. Autrefois, c’était il y a si peu, et pourtant c’est comme si des siècles s’étaient écoulés depuis ces jours oubliés. Notre monde n’a jamais été parfait, car la perfection n’existe pas. Les hommes n’étaient pas égaux, ni en droits ni en pouvoirs, et encore moins en richesses. Néanmoins, nous vivions en harmonie. Chacun avait une place assignée et s’y tenait, se conformant avec ce qu’il avait. Je me souviens encore de mon enfance, dans ces montagnes verdoyantes, jouant avec mes frères et sœurs dans des vallées féériques. Le monde me semblait alors merveilleux, emplis de mystères et de magie, de promesses et de rêves. Il y avait de la beauté et de la sincérité partout, dans ces collines qui sentaient le printemps toute l’année, ou dans ces créatures fantastiques que je croisais de temps à autres. J’étais toujours émerveillé par ces petits êtres différents de nous, si petits qu’ils pouvaient tenir debout dans la paume de ma main, ou au contraire ces dragons impressionnants qui teintaient le ciel d’un magnifique rouge écarlate quand ils ouvraient leur puissante mâchoire pour cracher du feu. J’avais toujours envié ces hommes qui, toujours impassibles, chevauchaient ces bêtes légendaires.
Oui, autrefois, nous vivions dans un monde époustouflant qui ne cessait de nous surprendre jour après jour. Seulement, tout a basculé…
Cupidité, ambition, jalousie. Ces trois mots sont terribles. Quand ils s’emparent de l’homme, ils l’assujettissent, l’obligent à se soumettre à leurs terrifiantes volontés. L’homme possédé n’est plus lui-même, il est aliéné, et obéit aveuglement à des désirs inconscients. C’est de cette façon que tout a commencé. Avec la jalousie, avec l’ambition. Pourquoi ne sommes-nous jamais satisfait de ce que nous avons ? Pourquoi avons-nous besoin de toujours plus ?

J’avais toujours admiré la grande Celebrian, cette sorcière à la fois crainte et respectée. Ses pouvoirs me fascinaient, et même si je ne savais rien de la magie, j’étais conscient de sa puissance, et par conséquent du danger qu’elle pouvait représenter. Et bientôt, je pus constater de mes propres yeux l’ampleur de ses capacités. Avant que qui que ce soit n’ait eu le temps de réagir, elle avait assemblé à ces côtés d’autres sorciers et alchimistes, tout aussi puissants les uns que les autres, et avec cette même soif intarissable, cette folie des grandeurs. Elle se voulait souveraine, reconnue pour sa force, vénérée pour son don. Car, si la belle Celebrian était sans doute la plus puissante femme de toute la contrée, il lui manquait ce petit détail qui fait toute la différence, qui fait disparaître les limites et qui vous accorde tout ce que vous désirez : la couronne.
Presque aussitôt, une armée se leva dans le camp adverse, sous les ordres du prestigieux Gohan Alaric. C’était un dragonnier de renom, souvent dis hors-pair, qui n’avait pas peur de mourir en défendant son royaume. Son dragon était le plus majestueux que j’aies jamais vu, et quand il traversait le ciel, on ne pouvait s’empêcher de s’arrêter pour contempler son vol gracieux. Quoi qu’il en soit, Alaric mena tous les dragonniers et chevaliers en guerre contre les sorciers. Ils ne l’avouèrent jamais, mais beaucoup d’entre eux, jalousant depuis longtemps ces dons magiques dont ils étaient dépourvus, rejoignirent l’armée pour les mauvaises raisons, personnelles et cupides.
Mais à vrai dire, désormais, tout cela n’a plus d’importance. Cette guerre dure depuis déjà quinze ans. Au fil du temps, tout le monde a oublié pourquoi il se battait. Mêmes les camps qui s’affrontent deviennent flous, à cause des trahisons, des changements de banc. Nombreux sont les dragonniers qui se sont alliés aux sorciers, entrevoyant dans ce choix tactique la seule possibilité de vaincre et d’être récompensés pour leur bravoure. A l’inverse, des alchimistes ont préféré rejoindre la cause des chevaliers, qui, surpassant les sorciers en nombre mais non en force, perdaient peu à peu du terrain. Avec le temps, les leaders sont tombés, leurs descendants les ont substitués, et cette guerre est devenue la plus effroyable de toute l’histoire, dans début ni fin, sans objectif ni possibilité de paix. Ce n’est que quand l’un des parties aura entièrement terrassé l’autre que la guerre cessera, enfin.

Autrefois, les prairies étaient vertes, et les enfants jouaient dans les champs, courant après les petites fées et s’extasiant devant le passage d’un dragon. Aujourd’hui, l’herbe est sèche et les gens ont peur de sortir de chez eux. La vue d’un dragon inspire la crainte, et même l’apparition d’un chevalier est un mauvais présage. Le ciel est gris, sombre, effrayant. Il n’y a plus d’harmonie, il n’y a que peur et souffrance. Des pertes humaines, par milliers, la tristesse. Oui, la tristesse et la douleur, voilà tout ce qui reste d’un monde si parfait dans son imperfection d’autrefois.

Je m’appelle Khaleb Alaric, fils de Gohan Alaric, et je jure solennellement donner ma vie pour défendre mon royaume. En acceptant le poste de général des dragonniers, je promets faire honneur à mon père et mener mon armée à la victoire afin de mettre un terme à cette sinistre époque et offrir un nouveau souffle de vie à mon peuple. »